06 septembre 2014

Lire l'article de Femme Actuelle: Job : résister aux nouvelles pressions


Photo Getty
Un article de Gaël Le Belleg, publié le 05/09/2014.
Retrouvez l'article original sur le site de Femme Actuelle

Toujours plus, plus vite, tout le temps… Sous la poussée des outils high tech, le travail semble de plus en plus aliénant. La psychanalyste Marie Pezé, spécialiste de la souffrance au travail, parle d’« hypnose collective ». Elle évoque ce monde digital, hyper connecté, où 247 milliards d’emails sont échangés par jour dans le monde. Avant la surchauffe, lisez plutôt.


La surcharge d’informations


Le problème. Selon une étude APEC ( En collaboration avec le Groupe de Recherche en Psychologie Sociale (GREPS), 54 % du temps des cadres en France est consacré au traitement des emails. Entre nos messageries (15 % d’entre nous ont au moins quatre adresses !), les réseaux sociaux, les listes de diffusion, et surtout via les nouveaux joujoux nomades, smartphones & co, nous sommes submergés d’infos. Engloutis. Répondre à chaque e-sollicitation devient un néo taylorisme. Caroline Sauvajol-Rialland, prof à Sciences Po, dénonce l’« Infobésité » (titre de son livre paru en 2012, Ed. Vuibert). Il existe même un site pour calculer son taux d’infobésité (calculermoninfobesite.fr) ! La psychanalyste Marie Pezé (Auteur de "Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés", éditions Champs actuels) met en garde : « Le travail s’est intensifié, densifié. On est toujours sur le qui-vive. Le corps et l’esprit en pâtissent. À la clef, on peut craindre troubles cognitifs, surmenage, voire un burn-out ». Le mot qui fait peur est lâché ; vite, comment réagir.
La réaction. Pour Marie Pezé, « le plus urgent est d’avoir conscience des risques. Savoir qu’à terme, il en va de notre santé. Il faut aussi se « défasciner » face aux TIC, leur faire perdre leur importance magnétique : ils ne sont que des outils. Enfin, on doit pouvoir exprimer à son N+1 que « trop d’infos tue l’info ». Qu’il comprenne que ça dégrade notre productivité, que l’on travaille au fil de l’eau. Il devrait être sensible à l’argument. » Ensuite, il existe des trucs simples pour moins être asphyxié. Le nouveau livre « Inondé sous les emails, résistez ! » ( En collaboration avec le Groupe de Recherche en Psychologie Sociale (GREPS)) en propose quelques-unes. À l’envoi d’un mail par exemple, ne pas mettre toute la boîte en copie ; sinon « effet boomerang » et réponses en rafale. Il existe aussi des outils anti-spam (Buzze ou Boxbe) à installer. Enfin, classez par dossiers et degrés d’urgence, avec un moment bloqué dans la semaine pour les traiter. Ou pas. Il faut s’autoriser à ne pas tout lire, tout traiter, personne n’est omniscient.

Le workend


Le problème. Vendredi soir, 18h30, on n’a pas fini de boucler un dossier. Pas grave, on l’emporte chez soi. Dimanche soir, 20h, les enfants dînent, « chgling », le bruit d’un mail pro de notre boss sur notre Galaxy S3. On va voir, on répond. Le « workend » est un phénomène qui touche tout le monde aujourd’hui : il n’y a plus de séparation entre semaine de labeur et « samedi-dimanche » de repos. 67 % des cadres bossent un peu le week-end (sondage IFOP/ Good Technology de 2012), 30 % des gens interrogés affirment « ne pas couper totalement du travail lors de leurs congés. » (étude Stepstone de 2011). La faute encore à notre « hyperconnectivité ». Et aussi, selon les mots de Denis Pennel, auteur d’un bon livre de rentrée « Travailler pour soi » (Ed. Seuil), d’une part à la « déspatilisation du travail » (avec un iPhone ou une tablette, on bosse de partout), d’autre part, à notre « mobiquité », portemanteau de « mobilité » et d’« ubiquité ».
La réaction. « Ce phénomène favorise le surinvestissement, analyse Marie Pezé. Et la posture héroïque. Ce n’est pas celui à qui bosse le plus tard, mais celui qui a le plus sacrifié son week-end au profit de son travail ! Il est indispensable de se créer des sas. S’astreindre à des limites horaires. Choisir des activités « hors réseau », type natation, yoga, ou n’importe quel cours où la prof ne tolèrera pas une sonnerie de portable. Un diktat doit en remplacer un autre ! Il faut aussi quitter cette idée piège consistant à croire qu’on est tout-puissant si on répond à tout, de partout. Ça donne au contraire à sa hiérarchie l’illusion d’une disponibilité permanente. Or, c’est comme pour l’amour, il faut savoir se faire désirer… » Sachez enfin qu’il existe sur l’iPhone une fonction « Ne pas déranger » : une fois activée, seules les notifications (par exemple persos) qu’on aura choisies nous sont signalées.

Le Tout Urgent


Le problème. Tout est devenu TTU. Très très urgent. Au point que se brouillent nos priorités, qu’on ne sache plus dans quel ordre traiter les tâches. On observe une « accélération du temps » selon le sociologue Harmut Rosa. « Une subordination à la seconde près, poursuit Denis Pennel, via un contrôle permanent et en temps réel grâce aux TIC, d’autant plus efficace qu’il est invisible et automatisé. » Jamais le « Time is Money » de Benjamin Franklin n’a autant valu. Les cycles de décisions sont courts, à la portée d’un clic, « le speedthinking fait du mal à l’intelligence, rétorque Marie Pezé. On produit aujourd’hui de la cortisone comme l’athlète qui court sur un 100 m, mais sur une distance de marathon ! » Repos ?
La réaction. « Une surstimulation de la mémoire à court terme, nous empêche de concevoir à plus loin, met en garde la psychanalyste Marie Pezé. En fait, le vice, c’est que le TTU fixe des objectifs inatteignables, et heurte de plein fouet le perfectionnisme de la plupart. On veut bien faire, et faute d’y arriver, on culpabilise. ». « Il faut relativiser les urgences, poursuit la psy. Exiger de l’autre une vraie deadline, et mettre en face les moyens d’y parvenir. S’il y a malgré tout engorgement (donc panique), c’est que le profil de poste est peut-être mal taillé. À re-considérer avec son N+1. Enfin, il est toujours possible de se faire prescrire, par un généraliste, un bilan neuro-psychologique, qui va évaluer – par des tests, des problèmes – votre état cognitif. » Résultats en main, votre chef saura sans doute mieux vous écouter…

L’obsession productive


Le problème. Il faut faire du chiffre. Quel que soit son métier. Être rentable pour son entreprise. Pire, et quasi comique, « ces dernières années ont vu émerger des méthodes de management rétrogrades, juge Denis Pennel, avec l’intensification du reporting (l’obligation de remplir des tableaux de bord pour rendre compte des résultats obtenus). Quoi de mieux pour tuer l’initiative individuelle ? » Le philosophe Pascal Chabot va plus loin (Dans Global Burn-Out (PUF) ) : « On caresse l’amour-propre des salariés en leur disant qu’ils sont « entrepreneurs d’eux-mêmes » mais à la seule fin d’exiger d’eux plus de flexibilité et de résistance au stress. On joue avec leur narcissisme. » À la clef, épuisement, lombalgies et troubles musculo-squelettiques.
La réaction. Primo, il faut avoir en tête ce chiffre : la France détient la 3e productivité horaire au monde derrière les USA et la Norvège. Alors on a de la marge, merci. Marie Pezé recommande « de s’accorder des temps de répit cognitif. Une micro sieste, ou même fermer les yeux durant une montée d’escalator ou d’ascenseur. De simples pauses actives de 5 minutes/ heure permettent aux fibres musculaires de se « remettre à zéro ». » Enfin, le chercheur en philo Matthew Crawford, dont on attend le livre « L’attention, un problème culturel » pour 2014, propose ceci : « On doit engager des actions qui structurent notre attention. Car cette masse de choses à faire est en plus un papillonnement permanent (on passe d’un dossier à l’autre, parfois on les gère ensemble). Les travaux manuels sont un remède, la cuisine par exemple. Préparer un repas soigné demande une grande concentration. Et canalise notre énergie efficacement. » Alors, tous aux fourneaux ?

Lire aussi:

Aucun commentaire: