11 septembre 2014

Lire: Salariés hyperconnectés : un enjeu de santé publique pas assez pris en compte

Retrouvez l'article de Blandine Le Cain sur le site du Figaro
Crédits photo : LEON NEAL/AFP

Les outils connectés prolongent les états de stress liées au travail.
L'Allemagne entend interdire l'envoi de courriels et les appels professionnels en-dehors des heures de travail afin de lutter contre le stress. Les spécialistes saluent cette réflexion et attendent un questionnement similaire en France.
Ce courriel à envoyer à un client, une consigne oubliée qu'il faut transmettre par téléphone, le rappel d'une réunion reçu sur son ordinateur... Autant de petits tracas qui rallongent le stress de la journée de travail. En Allemagne, le problème est pris au sérieux. La ministre du Travail prépare une loi contre le stress au travail, dans laquelle elle voudrait inclure l'interdiction d'envoyer des messages professionnels sur certaines périodes de temps privé, rapporte Rue89. L'étendue de ces périodes -vacances, week-ends, soirées- sera définie par une étude. Cette préoccupation de l'Allemagne, pionnière en la matière, existe de manière moins affirmée en France, où un «droit à la déconnexion» est à l'étude. Pour les spécialistes du stress, il s'agit d'un réel enjeu de santé.
Les nouvelles technologies ont gagné le milieu professionnel autant que l'intimité privée. Smartphones et tablettes permettent ainsi d'être sans cesse connecté, que ce soit au bureau ou à l'abri de sa maison, et d'être joignable à n'importe quel moment de la journée. Une étude britannique de 2011 a montré que ces pratiques pouvaient être néfastes: les employés qui prolongent leur journée de travail chez eux à l'aide d'écrans (ils étaient 64% des sondés) souffrent davantage de douleurs physiques, comme les maux de tête ou de dos, et leur niveau de stress est accru.

Le syndrome du «jamais à jour»

«Les nouvelles technologies de l'information ont aggravé la porosité qui existait déjà entre la vie professionnelle et la vie privée», confirme Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail. L'auteure de Je suis debout bien que blessée: Les racines de la souffrance au travail , évoque le «syndrome du “jamais à jour”» pour expliquer cette tendance à l'hyperconnectivité professionnelle. «L'être humain est ainsi fait qu'il veut se coucher la conscience tranquille. Comme nous sommes presque tous en surcharge de travail, on a tous tendance à grignoter un peu sur le temps personnel pour essayer d'être à jour», analyse-t-elle. Une tendance renforcée par les technologies connectées.
«Il est nécessaire d'imposer au salarié un véritable retour à une vie privée» Marie Pezé, psychologue

Ce stakhanovisme n'est pas anodin. «Les enquêtes ont montré que cet envahissement engendre une augmentation du stress», rappelle Marie Pezé, jugeant «absolument indispensable» d'agir contre. Pour elle, la ministre du Travail allemande a raison de vouloir légiférer. La psychologue salue «une solution absolument indispensable», y voyant un moyen d'«imposer un véritable retour à une vie privée» et de «quasiment désincarcérer les salariés de la situation de travail».

«Il n'est pas simple de légiférer»

Le constat est moins tranché du côté de Dominique Servant, psychiatre au CHRU de Lille et auteur de Ne plus craquer au travail . «On ne peut pas généraliser», estime le médecin. Pour lui, une mesure inscrite dans la loi prendrait difficilement en compte les disparités de situation et d'envie des travailleurs. Il en convient, «l'hyperconnexion peut rajouter un temps important de travail», mais il insiste également sur les conséquences possibles d'un virage à l'opposée. «Parfois, certaines personnes veulent continuer à recevoir des informations et sont déçues si elles ne reçoivent pas de message», note-t-il. «Dans ce cas, on peut se demander si c'est bien qu'elles ne le puissent plus, si cela permet de décompresser.» Et de conclure: «Il n'est pas simple de légiférer.»

Dominique Servant précise toutefois que cette volonté juridique n'est pas dénuée d'intérêt: le simple fait de poser la question est primordial. «C'est une très bonne chose d'avoir une réflexion sur ces questions» car, que ce soit par la loi ou des accords d'entreprise, «certaines conditions nouvelles de travail doivent être mieux fixées, particulièrement par rapport aux nouvelles technologies». Le psychiatre insiste notamment sur l'importance de pouvoir «prévoir» ces échanges et les rationnaliser: «Certaines informations reçues en-dehors du travail ne pourront pas être traitées dans l'immédiat et vont susciter du stress. Il faut redéfinir la notion d'urgence.»
Législation ou pas, les deux spécialistes s'accordent sur un point: les nouvelles technologies sont source d'un stress nouveau qu'il est impératif de prendre en compte dans l'organisation du travail. Peu d'entreprises françaises s'y sont frotté pour l'instant, alors même que l'Hexagone est particulièrement concerné par les problématiques de stress et de «burn out». «L'investissement affectif du salarié français dans le travail est très fort» et accentue ces problèmes, souligne Marie Pezé. Il s'agit, selon elle, de «faire très attention, sur la question du temps de travail, à ne pas oublier le temps du corps». Primordial, confirme Dominique Servant, évoquant le «fil à la patte» que représente le smartphone, «outil professionnel que vous emportez avec vous dans l'intimité» et qui fait de cette question un problème de santé publique. «Tout le monde est concerné par cette connexion presque permanente», résume-t-il.

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Marie Pezé la Sentinelle
 

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