Crédits photo : LEON NEAL/AFP
L'Allemagne
entend interdire l'envoi de courriels et les appels professionnels
en-dehors des heures de travail afin de lutter contre le stress. Les
spécialistes saluent cette réflexion et attendent un questionnement
similaire en France.
Ce courriel à envoyer à un client, une consigne
oubliée qu'il faut transmettre par téléphone, le rappel d'une réunion
reçu sur son ordinateur... Autant de petits tracas qui rallongent le
stress de la journée de travail. En Allemagne, le problème est pris au
sérieux. La ministre du Travail prépare une loi contre le stress au travail, dans laquelle elle voudrait inclure l'interdiction d'envoyer
des messages professionnels sur certaines périodes de temps privé,
rapporte Rue89. L'étendue de ces périodes -vacances, week-ends, soirées- sera définie par une étude. Cette préoccupation de l'Allemagne, pionnière en la matière, existe de manière moins affirmée en France, où un «droit à la déconnexion» est à l'étude. Pour les spécialistes du stress, il s'agit d'un réel enjeu de santé.
Les
nouvelles technologies ont gagné le milieu professionnel autant que
l'intimité privée. Smartphones et tablettes permettent ainsi d'être sans
cesse connecté, que ce soit au bureau ou à l'abri de sa maison, et
d'être joignable à n'importe quel moment de la journée. Une étude britannique
de 2011 a montré que ces pratiques pouvaient être néfastes: les
employés qui prolongent leur journée de travail chez eux à l'aide
d'écrans (ils étaient 64% des sondés) souffrent davantage de douleurs
physiques, comme les maux de tête ou de dos, et leur niveau de stress
est accru.
Le syndrome du «jamais à jour»
«Les nouvelles
technologies de l'information ont aggravé la porosité qui existait déjà
entre la vie professionnelle et la vie privée», confirme Marie Pezé, psychologue spécialiste du stress au travail. L'auteure de Je suis debout bien que blessée: Les racines de la souffrance au travail ,
évoque le «syndrome du “jamais à jour”» pour expliquer cette tendance à
l'hyperconnectivité professionnelle. «L'être humain est ainsi fait
qu'il veut se coucher la conscience tranquille. Comme nous sommes
presque tous en surcharge de travail, on a tous tendance à grignoter un
peu sur le temps personnel pour essayer d'être à jour», analyse-t-elle.
Une tendance renforcée par les technologies connectées.
«Il est nécessaire d'imposer au salarié un véritable retour à une vie privée» Marie Pezé, psychologue
Ce stakhanovisme n'est pas anodin. «Les enquêtes ont montré
que cet envahissement engendre une augmentation du stress», rappelle
Marie Pezé, jugeant «absolument indispensable» d'agir contre. Pour elle,
la ministre du Travail allemande a raison de vouloir légiférer. La
psychologue salue «une solution absolument indispensable», y voyant un
moyen d'«imposer un véritable retour à une vie privée» et de «quasiment
désincarcérer les salariés de la situation de travail».
«Il n'est pas simple de légiférer»
Le constat est moins tranché du côté de Dominique Servant, psychiatre au CHRU de Lille et auteur de Ne plus craquer au travail .
«On ne peut pas généraliser», estime le médecin. Pour lui, une mesure
inscrite dans la loi prendrait difficilement en compte les disparités de
situation et d'envie des travailleurs. Il en convient, «l'hyperconnexion
peut rajouter un temps important de travail», mais il insiste également
sur les conséquences possibles d'un virage à l'opposée. «Parfois,
certaines personnes veulent continuer à recevoir des informations et
sont déçues si elles ne reçoivent pas de message», note-t-il. «Dans ce
cas, on peut se demander si c'est bien qu'elles ne le puissent plus, si
cela permet de décompresser.» Et de conclure: «Il n'est pas simple de
légiférer.»
Dominique Servant précise toutefois
que cette volonté juridique n'est pas dénuée d'intérêt: le simple fait
de poser la question est primordial. «C'est une très bonne chose d'avoir
une réflexion sur ces questions» car, que ce soit par la loi ou des
accords d'entreprise, «certaines conditions nouvelles de travail doivent
être mieux fixées, particulièrement par rapport aux nouvelles
technologies». Le psychiatre insiste notamment sur l'importance de
pouvoir «prévoir» ces échanges et les rationnaliser: «Certaines
informations reçues en-dehors du travail ne pourront pas être traitées
dans l'immédiat et vont susciter du stress. Il faut redéfinir la notion
d'urgence.»
Législation ou pas, les deux spécialistes s'accordent
sur un point: les nouvelles technologies sont source d'un stress nouveau
qu'il est impératif de prendre en compte dans l'organisation du
travail. Peu d'entreprises françaises s'y sont frotté pour l'instant,
alors même que l'Hexagone est particulièrement concerné par les
problématiques de stress et de «burn out». «L'investissement affectif du salarié français dans le travail est très fort»
et accentue ces problèmes, souligne Marie Pezé. Il s'agit, selon elle,
de «faire très attention, sur la question du temps de travail, à ne pas
oublier le temps du corps». Primordial, confirme Dominique Servant,
évoquant le «fil à la patte» que représente le smartphone, «outil
professionnel que vous emportez avec vous dans l'intimité» et qui fait
de cette question un problème de santé publique. «Tout le monde est
concerné par cette connexion presque permanente», résume-t-il.
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Marie Pezé la Sentinelle
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