03 novembre 2012

Lire l'article: La souffrance au travail, un mal oublié par les politiques, de Jean-Marie Durand


Jean-Pierre Darroussin dans "De bon matin"
Jean-Pierre Darroussin dans "De bon matin"

Dépressions, burn-out, suicides… : les symptômes de la souffrance au travail, identifiés par les sociologues depuis vingt ans, se développent. [...]

Le travail tue, on le constate tous les jours (un suicide par jour à cause du mal-être au travail), on en mesure les causes et les mécanismes depuis une vingtaine d’années grâce aux travaux décisifs de sociologues comme Christophe Dejours, Danièle Linhart, Vincent de Gaulejac, Robert Castel, Alain Ehrenberg, Richard Sennett… Les salariés ne sont pas tous morts, mais tous sont frappés. Quelque chose de destructeur est à l’oeuvre dans toutes les branches professionnelles du privé ou du public (services, industrie, professions libérales…), toutes les catégories (cadres, employés, ouvriers, techniciens…). Partout se manifestent les mêmes symptômes : stress, perte de sens, dépression, désenchantement, épuisement, incompréhension… Et pourtant tout continue, comme si de rien n’était. La souffrance au travail, noyée dans la masse des souffrances sociales qui l’englobent, ne forme pas le cadre d’une politique publique affirmée.
Comme le remarque le sociologue Christophe Dejours dans La Panne, son nouveau livre d’entretien avec Béatrice Bouniol, “la pensée du travail est à ce point en friche qu’un président de la République a pu se faire élire en 2007 sur le slogan ‘travailler plus pour gagner plus’, à un moment où les pathologies de surcharge explosaient, de la dépression au burn-out.”

Une souffrance dont l’Etat et les managers se moquent
Depuis la publication, en 1998, du livre marquant de Christophe Dejours, Souffrance en France, la question du mal-être au travail occupe cette place ambivalente dans le débat public, à mi-chemin de la marginalité politique et de la centralité de ses enjeux perçus par les sociologues, réalisateurs ou romanciers. Si de plus en plus d’indices témoignent de cette déshumanisation – suicides, dépressions, burn-out, troubles musculo-squelettiques et autres pathologies de la surcharge -, l’État et les managers s’en moquent largement, prétextant l’urgence de mener la guerre contre le chômage. Soyez heureux de souffrir au travail, au moins vous avez un emploi…

La misère du raisonnement dominant épouse la misère de ceux qui crèvent de l’injonction qui leur est faite de se sentir heureux. “Vivre en niant ce qui nous angoisse est notre lot”, souligne Dejours, pour qui l’idéologie gestionnaire du “new public management” déshumanise le monde du travail en isolant les individus, en imposant le management par objectifs (faire plus avec moins) ou l’évaluation individuelle des performances, dont les résultats ne reflètent pas l’ensemble du travail.
“Comment ne pas voir que le seul résultat ne dit rien même de la quantité de travail investie ? Comment le réduire à un résultat chiffré alors qu’il engage la personnalité tout entière ?”
Depuis quarante ans, l’approche clinique et psychodynamique du travail menée par Dejours tente de comprendre “le succès de ce système qui parvient à conserver l’assentiment de ceux qu’il maltraite chaque jour”. Le changement d’organisation ne peut précisément surgir que d’une réappropriation collective : ce n’est pas le harcèlement au travail qui est nouveau mais “le fait de devoir l’affronter seul”. “Le sentiment d’isolement au sein d’un environnement hostile, l’expérience de l’abandon, du silence, de la lâcheté des autres, voilà la marque de notre organisation du travail.” Or le sociologue persiste à penser que le travail est un “lieu unique d’émancipation et d’expérimentation de la vie en commun”, qu’il “contient un potentiel éthique par la coopération qu’il implique entre les individus”.

Affirmer la “centralité politique du travail”
L’idéologie managériale nie tout ce que les gens mettent d’eux-mêmes dans le travail ; l’engagement de leur subjectivité n’entre plus dans le circuit de la reconnaissance. Or les salariés que Dejours rencontre “ne nourrissent pas l’illusion d’être reconnus par un patron (…), ils revendiquent que leur contribution le soit, et qu’en outre, elle soit reconnue comme indispensable; la distinction est essentielle : le jugement d’utilité porte sur le travail et non sur la personne. (…) Mal poser la question de la reconnaissance, ce n’est pas répondre à la souffrance.”
Dejours pose surtout comme préalable absolu à une prise de conscience salutaire la nécessité d’affirmer la “centralité politique du travail”. 

Lire la suite de l'article de Jean-Marie Durand sur le site des Inrocks.

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