Le 4 septembre sera diffusé "Sexe, mensonges et harcèlement", un documentaire exceptionnel de Clarisse Feletin sur le harcèlement sexuel.
Ce documentaire est passionnant, émouvant et révoltant. Il relate le parcours de victimes en parallèle de l'abrogation de la loi imposée par le Conseil Consitutionnel, qui a laissé 2000 victimes sans le moindre recours contre leurs agresseurs. Il est également éclairé par les témoignages d'élus, d'association d'aide aux victimes, de harceleurs, et d'avocats.
Le harcèlement moral n'est pas un épiphénomène: il touche en France 200000 personnes par an, majoritairement des femmes. Sur ces 200000 personnes, un millier vont porter plainte et 35 plaintes aboutiront à des condamnations. La France est l'un des pays dits "évolués" les plus en retard sur la question, plus en retard encore que l'Italie (néanmoins, que peut-on attendre des élus de l'Assemblée Nationale, incapables de se contrôler lorsqu'un des députés porte une robe...)
Le documentaire décrit le profil type des victimes: des femmes seules, en situation professionnelle instable, avec des enfants à charge, ce qui témoigne de la lacheté des harceleurs. Une question y est récurrente: est-ce de la séduction, une drague un peu lourde, du harcèlement ? Pourquoi la victime n'a-t-elle pas crié, s'est-elle laissée faire ? Des scientifiques sont justement interrogés et expliquent que les victimes sont tétanisées et voient leur mémoire alterée par l'agression (voir article sur le stress post-traumatique), ce qui dédouane les victimes d'une passivité jugée suspecte ("qui ne dit mot consent")...
Le documentaire décortique la mise en place du harcèlement: souvent un supérieur qui se montre d'abord sympathique et protecteur, puis de plus en plus insistant et menaçant, qui alterne phase agressive et phase normale pour tromper la vigilence de sa victime, qui cherchera à semer la confusion: "tu es coincée", "c'est une blague, tu n'as rien compris", "reste cool, tu vois le mal partout" allant enfin jusqu'à la mise au placard ou au licenciement...
Tous les secteurs sont concernés, l'accent est mis ici sur les élus, ce qui rappelle de nombreuses affaires, telles que celle de Georges Tron ou de DSK. Elle s'attarde plus spécifiquement sur le cas de Gérard Ducray, condamné en 2010 pour harcèlement
sexuel et qui a obtenu le 4 mai 2012 que le Conseil constitutionnel, dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité
formulée devant la Cour de cassation, déclare inconstitutionnel le
délit pour lequel il avait été condamné et abroge, avec effet
immédiat, l'article 222-33 du code pénal qui traitait ce sujet.
La question des connivences protégeant les harceleurs est suggérée avec le cas d'un directeur de police municipal bénéficiant d'un non lieu prononcé par un procureur malgré un important dossier à charge et celui de Gérard Ducray, qui connaissait personnellement plusieurs membres du Conseil Consitutionnel qui a fait le choix, fort rare d'une abrogation à effet immédiat créant un vide juridique.
On retient également de ce documentaire la responsabilité des ministres qui avaient été alertés par l'inconstitutionnalité de la loi sur le harcélement sexuel mais qui ont refusé de se pencher sur la question. On note aussi le petit sourire de certaines personnes interrogées sur la question du harcèlement sexuel qui démontre que les mentalités ont besoin d'être bousculées, ce qui est froidement confirmé par ce simple constat: en France, avec deux ans de prison et 30 000 euros d’amende, le harcèlement sexuel est moins pénalisé que le vol à l'étalage (trois ans et 45 000 euros), sauf dans des cas bien précis où vol et harcèlement sont punis au même niveau (voir le texte de la nouvelle loi).
Saluons enfin le travail de l'association AVFT, Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail. le courage de Chantal Jouanno et de Martine Billard qui révèlent que le harcélement sexuel grangrène les plus hautes sphère de notre société...
Vous pouvez voir ce documentaire en avant-première sur le site de Télérama et sur France 2, le mardi 4 septembre 2012 à 22h40.
Vous pouvez également réagir sur le forum de France 2.
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Et lire l'interview de la réalisatrice sur le site de Télérama (propos recueillis par Emmanuelle Skyvington):
Attouchements, gestes déplacés et obscènes, propositions équivoques à caractère sexuel, envois de SMS et d'images pornographiques…, les femmes qui témoignent dans cette enquête de Clarisse Feletin en ont toutes subis. Longtemps resté tabou, le harcèlement sexuel reste un délit difficile à prouver devant les tribunaux : seuls trente-cinq harceleurs ont été condamnés en 2010 sur mille plaintes déposés en France. Grâce à l'aide des juristes de l'AVFT (l'Association européenne contre les Violences faites aux femmes au travail), Manon, Sophie, Aline et les autres tentent de faire reconnaître les violences qui ont brisé leur vie. Engagée auprès d'elles, la réalisatrice Clarisse Feletin revient pour nous sur ce tournage émaillé de rebondissements.
Par le biais de l’AVFT et grâce à Marilyn Baldeck, déléguée générale de cette structure, j’ai pu assister aux premières démarches de ces femmes harcelées. Elles racontaient le drame qu’elles avaient vécu, face aux membres de l’association. Celles-ci, très carrées, rigoureuses, prenaient des notes, vérifiaient les faits et tentaient de comprendre les stratégies des harceleurs qui agissent de façon calculatrice, à l'écart de tout témoin. Cette phase est très pénible pour ces femmes, mais elles sont sensibles à un argument majeur : les décisions de justice, qu’elles obtiennent à l’arrachée, permettent de faire évoluer la jurisprudence. Plusieurs disent « je ne veux plus que mon harceleur recommence » ou « je n’aimerais pas que cela arrive à ma fille ». Dénoncer leur agresseur devient pour ces victimes un combat à la fois personnel et collectif, avec une portée sociale. Quant à la présence de la caméra, c’était très délicat. Elles prennent déjà des risques en déposant plainte, alors montrer leur visage…! Je les ai laissées très libres face à ce choix. Je ne leur ai jamais mis la pression, car j’ai un grand respect pour leur situation.
Simple jeu de séduction, drague lourde, ou vrai délit et fléau social : comment le harcèlement sexuel est-il perçu dans la société française ?
Je crois qu’en France, il y a un double déni, social et juridique, et une forme d’aveuglement au sujet de cette question a contrario largement prise en compte dans nombre d’autres pays aujourd’hui. En Israël, par exemple, le coût du harcèlement sexuel a été estimé à 200 millions de dollars : les victimes souffrent de dépression et passent parfois des mois en arrêt maladie. Aux Etats-Unis, ce délit au travail est pris en compte par les employeurs qui en font mention dans les contrats de travail. En France, on en est loin : cela reste une question tabou. Tant que les employeurs ne prendront aucune sanction au niveau de leur entreprise, les femmes sont obligées de saisir la justice. Ce qui entraîne pour elles des frais d’avocats. La majorité de ces femmes ont été mises au placard ou virées. Certaines ne peuvent plus payer leurs loyers. En France, l’enjeu de ce débat n’est pas que judiciaire : il faut que le monde du travail et les ressources humaines dans les entreprises prennent conscience que c’est grave.
Durant le tournage, coup de théâtre : le 4 mai 2012, le Conseil constitutionnel abroge l'article 22-333 du Code Pénal qui condamnait le harcèlement sexuel…
En effet, la loi a été jugée anticonstitutionnelle au motif que la définition du harcèlement sexuel était trop floue. C'est Gérard Ducray, ancien secrétaire d'Etat sous Valéry Giscard d'Estaing, ex-député et actuel conseiller municipal de Villefranche-sur-Saone, condamné en appel pour harcèlement sexuel envers Aline Rigaud, qui a obtenu l'abrogation de la loi après avoir posé une QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Par l'annulation de cette infraction, quelque deux mille femmes ont vu l'extinction des procédures pénales qu'elles avaient entamées. Les cinq femmes que je filmais ont toutes très mal vécu ce nouveau coup dur, ressenti comme une terrible injustice et la négation de leur souffrance.
Depuis, le 6 août dernier, une nouvelle loi sur le harcèlement sexuel a été promulguée. Aline Rigaud (la seule à témoigner à visage découvert, ndrl), Sophie, Najat, Manon et Aurélia pourront-elles reporter plainte ?Non, car on ne peut pas porter plainte deux fois pour les mêmes faits. Le seul recours maintenant pour ces femmes qui ne peuvent plus aller au pénal, c'est de déclencher une procédure civile au sein du même tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 1382, c'est-à-dire sur la responsabilité de quelqu'un « qui cause un dommage à autrui ». Dans le cas de cette procédure, elles pourront peut-être obtenir des dommages et intérêts pour préjudice moral et matériel. Mais dans tous les cas, cela demeure une mesure cosmétique et limitée concernant uniquement les affaires qui étaient renvoyées au tribunal. En revanche, toutes les affaires qui en étaient au stade de l'enquête préliminaire et de recherche de la preuve (la police doit convoquer le harceleur présumé, organiser une confrontation…) tombent à l'eau.Y a-t-il des améliorations avec cette nouvelle loi du 6 août 2012 ?Oui. Dans l'ancienne loi, un vol simple était trois fois plus puni que le harcèlement : maintenant, il y a égalité entre le harcèlement et le vol (jusqu'à 3 ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende). Donc il y a un progrès. Par ailleurs, cette nouvelle loi est beaucoup plus précise et plus large que la précédente (le harcèlement moral est plus sévèrement puni, tout comme d'autres discriminations comme la transphobie (attitude agressive envers les transsexuels, ndlr). Le législateur a impulsé un mouvement, appuyé par la circulaire Taubira du 7 août. Maintenant, c'est aux juges de faire leur travail. Il faut que l'ensemble de la société prenne conscience que le harcèlement est grave et destructeur.
Clarisse Feletin, journaliste, a dénoncé le scandale de l’usine d’incinération d’ordures ménagères de Gilly-sur-Isère (La journaliste, la juge et la dioxine, 2010), puis suivi les affres de la maison Descamps placée en redressement judiciaire (Sauve qui peut, 2012).
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