L’égalité des sexes, c’est gagné ? Pas si sûr. A travers des études récentes [PDF]
menées auprès des jeunes, Pascal Moliner, professeur de psychologie
sociale à l’université Paul Valéry (Montpellier-II)I et
psychosociologue, constate que les stéréotypes persistent mais que
jeunes femmes et jeunes hommes ont tendance à s’approprier les
stéréotypes relatifs à l’autre sexe.
CFPJ : D’où viennent les stéréotypes que l’on a sur l’autre sexe ?
Pascal Moliner : Depuis les années 1970, une
multitude de travaux se sont axés sur les perceptions du masculin et du
féminin. On en a conclu que les caractéristiques que l’on attribue au
masculin et au féminin sont une construction sociale.
Tous les travaux qui ont été faits depuis ont toujours abouti au même
résultat. Globalement, et indépendamment des catégories sociales, il y a
l’idée que le féminin et le masculin se répartissent en deux grands
pôles :
- le pôle « agentique », associé à l’homme, renvoie à l’action, à la force, à la domination ;
- le pôle « communal » ou « communicationnel », associé à la femme, renvoie à des capacités d’écoute, de compréhension, de communication.
Ces deux pôles sont extrêmement stables, leurs contenus peuvent
éventuellement varier d’une catégorie sociale à l’autre mais on retrouve
toujours les mêmes distinctions. Indépendamment des études et des pays,
d’ailleurs.
Dans les études récentes que j’ai menées auprès des jeunes, on
constate par exemple que plus de 80% des répondants accordaient d’emblée
aux femmes des qualités de douceur et aux hommes, des qualités de
force. Cependant, ce qui change, c’est l’équilibre entre les deux.
De quelle façon évolue cet équilibre ?
On voit l’émergence chez les jeunes d’un type androgyne. Ils
endossent des traits qui ne sont pas stéréotypés, c’est-à-dire qui ne
sont pas attribués à leur genre.
A travers les dernières études menées en 2012, on voit apparaître
notamment cette tendance chez les jeunes filles. Elles se définissent
très clairement selon le pôle agentique. Lorsqu’on leur demande de se
décrire, elles se définissent plus volontiers par des stéréotypes
masculins comme l’indépendance, la volonté de se séparer d’autrui et de
poursuivre des objectifs individuels.
Il y a quinze ans, des exercices menés sur l’évolution des genres
demandaient à des jeunes femmes et des jeunes hommes de se séduire à
travers des photos. Les jeunes hommes choisissaient davantage des photos
sur lesquelles ils étaient seuls alors que les femmes choisissaient
davantage des photos où elles étaient en groupe. Aujourd’hui, c’est
l’inverse pour les jeunes femmes.
Retrouve-t-on ce phénomène dans tous les milieux sociaux ?
La question qui se joue est toujours celle de l’équilibre du pouvoir
et des ressources. Dans les milieux les plus modestes, une fille pense
d’emblée qu’elle ne peut pas jouer dans la même cour que les garçons.
Elle gardera ainsi plus facilement les stéréotypes qui sont attribués à
son genre.
Est-ce que l’on constate ce phénomène d’androgynie aussi chez les jeunes garçons ?
Le phénomène est très similaire chez les jeunes garçons
d’aujourd’hui. Ils reprennent à leur compte des stéréotypes associés aux
femmes comme l’écoute et l’attention vis-à-vis des autres.
Cependant, les jeunes hommes, au contraire des jeunes filles,
assument moins les stéréotypes que la société leur accole, comme la
domination et la force. Ils y voient une connotation négative et ne les
mettent donc pas en avant.
Aucune étude ne s’est penchée jusqu’à ce jour sur les effets
comportementaux de l’androgynie. On ne peut constater ce phénomène que
dans la façon qu’ont les jeunes garçons de se décrire à travers des
exercices dans un cadre scientifique ou sociologique. A première vue
toutefois, les réseaux sociaux, les blogs, les forums et autres
démontrent cette tendance.
Doit-on attribuer cette évolution aux luttes féministes pour l’égalité ?
On doit pouvoir l’attribuer à une évolution sociale de la place du
masculin et du féminin dans la société et aux revendications féministes.
Malgré tout, le masculin reste dominant dans notre société. Et cette
situation ne peut s’inverser que si les hommes et les femmes réfutent
les stéréotypes qui leur sont accolés.
Or, nous avons tous de bonnes raisons d’accepter les stéréotypes de
genre. Il faut bien comprendre que les stéréotypes sont des croyances
qui structurent les rapports sociaux.
On observe par exemple au travers d’études scientifiques et
sociologiques que lorsqu’elles sont dans un rapport de séduction, les
jeunes femmes continuent à dissimuler leurs capacités intellectuelles
car il y a cette idée reçue selon laquelle la femme doit flatter l’homme
pour le séduire. Si elles montrent l’étendue de leurs capacités
intellectuelles, elles ont peur de faire fuir l’homme.
Dans leur comportement, elles mettent en œuvre ces croyances alors
même que dans leurs dires, elles les réfutent. C’est un jeu très subtil.
L’avènement de la drague en ligne a-t-elle changé les choses ?
Les blogs, les forums, les chats sont des moyens d’interaction entre
les genres qui ont accentué les effets de stéréotypes. Et les hommes en
sont les principales « victimes ».
Pour quelles raisons ?
Dans leur manière de se comporter, les jeunes hommes veulent
absolument se différencier des autres jeunes hommes. Ils ne veulent
absolument pas être compris dans un tout lorsqu’ils draguent une fille.
En sociologie, on appelle ce phénomène l’hétérogénéité perçue.
Sur Internet, ce phénomène a tendance à diminuer. A travers les
interactions anonymes ou protégées par un pseudonyme, types forums ou
chats, ils sont perçus par les jeunes femmes et se perçoivent eux-mêmes
comme le membre d’un collectif. La volonté de différenciation des autres
hommes ne se manifeste plus. L’anonymat brise cette règle et favorise
la dépersonnalisation et donc les stéréotypes.
Pourquoi ne constate-t-on pas ce phénomène pour les femmes ?
On ne constate pas d’accentuation des stéréotypes sur Internet pour
les femmes car à l’inverse des hommes, elles ont tendance plus
volontiers à s’inclure dans un tout. Lorsqu’elles se définissent, il y a
une volonté d’être semblables aux autres femmes. C’est le phénomène
d’homogénéité perçue. Les stéréotypes sont donc plus faciles à établir
et Internet n’a rien changé à cela.
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