27 août 2012

A lire l'article de Laurent Saussereau, Plaisir et travail : une approche alternative aux risques psychosociaux ?


Retrouver cet article sur le site des Echos.

Travail : du latin populaire "tripalium" qui désignait un instrument d’immobilisation (et éventuellement de torture) à trois pieux. On appelle encore "travail" un appareil servant à immobiliser les chevaux rétifs pour les ferrer ou les soigner.

L’engagement au travail
Les entreprises sont de plus en plus nombreuses à se soucier du niveau d’engagement de leurs employés, convaincues que ce niveau d’engagement est un des leviers clés de leur performance. Pour le mesurer, nombre d’entre elles déploient annuellement des sondages internes (commitment survey) pour en mesurer le niveau et établir des "benchmarks" avec les entreprises de leur secteur. Or sans énergie, pas d’engagement !
Bien que rares, certaines entreprises commencent à prendre en compte cette approche "énergétique" de l’entreprise, la considérant comme un système vivant, un espace d’échange de flux (Joel de Rosnay, "Surfer la vie").
Si du niveau d’engagement dépend la performance de l’entreprise, du niveau d’énergie dépend le niveau d’engagement. La performance est donc directement liée au niveau d’énergie des individus qui la compose. Des études menées par le mouvement de psychologie positive né aux USA dans les années 90 ont porté sur ces notions d’énergie, de dynamique de motivation et de déclencheur de bonheur. L’un des fers de lance de cette approche, le psychologue Hongrois Mihály Csíkszentmihályi (1), montre que deux facteurs élèvent le niveau d’énergie : la peur, le plaisir.
Le salaire de la peur
Notre éducation nous a souvent conditionnés à fonctionner sur la peur : peur de l’échec, de la sanction, de manquer, de perdre, du jugement… Comme le montre Yann Algan (2) dans son ouvrage "La fabrique de la défiance", nous avons été conditionnés – et en particulier en France – à un modèle relationnel fondé sur la défiance et la peur de l’autre (potentiel compétiteur ou prédateur), la peur de l’étranger.
Or la peur a 3 conséquences, ce que nous appelons les "3F" :
1 - Freeze : c’est l’inhibition, l’immobilisme total.
2 - Fly : l’individu s’enfuit physiquement ou psychologiquement, c’est la démission pouvant en cas extrême conduire au suicide.
3 - Fight : c’est le combat, le début de la violence déclenchée par la colère.
La peur est l’énergie dominante dans l’entreprise, et dans le monde professionnel en général à la fois par le conditionnement que nous avons eu dans notre éducation et par la logique de défis permanents qu’elle pratique en donnant des objectifs toujours plus élevés et des moyens souvent plus restreints. Cette peur sans relâche conduit généralement à l’épuisement des forces vitales des individus se traduisant par le "burnout" des cadres, l’absentéisme, les arrêts de travail pour maladie ou accidents… Le tout pesant – d’après les organismes de sécurité sociale – près de 50 milliards d’euros pour 2011. La note de la logique de performance conduirait-elle alors à une sous-performance sociale ?
Le plaisir, pourquoi pas ?
Peut-être à cause de son étymologie, le travail semble souvent antinomique de la notion de plaisir. Il est même souvent tabou dans l’entreprise et nous avons eu souvent l’occasion de rencontrer une forte résistance à l’utilisation quasi interdite de ce terme dans certaines d’entre elles.
Le plaisir est cette sensation que nous connaissons tous, ce moment où le temps n’existe plus et où, pris dans un flux d’énergie vitale (ce que Mihály Csíkszentmihályi appelle "The flow"), nous donnons le meilleur de nous dans la tache accomplir.
En interrogeant des collaborateurs d’entreprises différentes sur ce qui génère pour eux du plaisir dans le travail, ceux-ci expriment :
- Les moments de lien : rencontre avec leurs collègues, travail en équipe, cafétéria ou cantine…
- La fierté du travail bien fait.
- Le sentiment d’être utile.
- Pouvoir créer, apporter de soi.
- Le lien de confiance avec le supérieur.
Le salaire n’est que rarement cité.
Cette notion de plaisir est très fortement ancrée dans les attentes de la génération Y ou "Digital Natives" nées après 1990 et qui commencent à arriver dans les entreprises. Ils bouleversent les valeurs, recherchent l’enrichissement de l’expérience au travers de l’interaction avec les autres différents d’eux. Le lien, le sent, avoir un rôle est au cœur de leur besoin. Génération "gaming", ils considèrent le travail comme un jeu et fuient les luttes, le pouvoir et la compétition.
Sortir de la souffrance
Si l’on croit que l’homme n’est pas fait pour la souffrance, mais bien pour vivre heureux, alors peut-être est-il temps de considérer comment l’entreprise dans laquelle nous passons plus de 7 années de notre vie en temps cumulé peut elle devenir un lieu de plaisir, un lieu contribuant à ce que L. Ferry (3) appelle une "vie bonne".
La plupart des actions menées dans les entreprises aujourd’hui le sont autour des risques psychosociaux et donc centrés sur le problème et en particulier le stress. En se centrant ainsi sur le problème, ne risque-t-on pas de le renforcer ? D’avoir en conséquence un accroissement de ces mêmes risques psychosociaux.
Et si l’approche était alternative, une approche centrée sur la recherche des conditions du plaisir, du bonheur ? La première étape serait alors sans doute de réhabiliter le terme dans l’entreprise et pour ce faire l’enjeu est avant tout culturel.
Et si on écoutait les jeunes ?
La génération Y qui arrive dans les entreprises sera peut-être l’élément déclencheur de ce changement de culture pour notre plus grand plaisir à tous…
(1) Vivre : "La psychologie du bonheur", Mihály Csíkszentmihályi.
(2) "La société de défiance", Yann Algan, Pierre Cahuc 10/2007.
(3) "Qu’est ce qu’une vie réussie ?", L. Ferry, Paris Grasset 2002.

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