« Il y a
deux ans et demi, une élève m’a décoché un coup de pied pendant un
cours.
En conseil de discipline, elle a été exlue avec
sursis. Elle a repris le chemin de l’école le lendemain. Moi, je ne suis
jamais revenue. Je suis en dépression profonde et mon poste a été
supprimé à la dernière rentrée. À la fin de mon arrêt, je devrai
repartir de zéro, je serai peut-être mutée à l’autre bout de l’académie.
» Plus que dans l’agression dont elle a été victime, Carine (1),
professeur d’éducation physique et sportive, voit dans « l’attitude de
la hiérarchie » la cause de sa situation.
À l’époque, Carine reçoit le soutien du ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel face à « cet acte inqualifiable », le recteur Marie-Jeanne Philippe « condamne fermement cet acte de violence » mais « le proviseur ne m’a jamais entendue sur le déroulement des faits et il n’avait même pas prévenu mes collègues de mon agresssion ».
Quant au conseil de discipline, « il ne l’a pas
pris au sérieux. Un prof qui devait y siéger était absent et n’a pas été
remplacé, les deux délégués de classe ont été autorisés à partir avant
d’être entendus parce qu’ils avaient un bus à prendre... Si la
hiérarchie ne soutient pas ses profs, comment peuvent-ils être crédibles
aux yeux des élèves ? Le bruit qui court, c’est que les élèves sont
rois. Et leur langue court vite. »
Le cas de Carine n’est pas isolé. Fin janvier, le
syndicat Action et démocratie (A&D), majoritaire dans l’enseignement
professionnel, consacrait un séminaire à la souffrance au travail et au
burn out des enseignants à la Charité à Béthune. Une cinquantaine de
professeurs, dont une quinzaine de Béthune, assistent à cette journée de
réflexion animée par Lucien Cornille, ancien responsable syndical
régional.
« Un enseignant français sur sept est en situation de burn out, d’épuisement professionnel (2),
détaille Michel Paillard, professeur au lycée professionnel
André-Malraux de Béthune et secrétaire départemental d’A&D. Ils
sont écartelés entre leur désir de bien faire et des conditions
d’enseignement de plus en plus déplorables, notamment en lycée pro où la
mise en place du bac pro en trois ans en 2009 n’a rien arrangé. »
Le syndicaliste pointe une évolution des causes du mal-être des enseignants, des élèves vers la hiérarchie. « Au
début, on organisait surtout des formations sur la gestion des classes
et des élèves difficiles. Depuis cinq ou six ans, on s’intéresse de plus
en plus à l’attitude de l’institution vis-à-vis des enseignants. Les
collègues se sentent dévalorisés. »
La question est particulièrement sensible à Malraux,
dont une professeur de secrétariat, Marielle Croquefer, s’est suicidée
en octobre 2012. Dans une lettre, elle expliquait son geste par des
décisions administratives et la crainte de redevenir titulaire de zone
de remplacement (TZR). « Dans ses conclusions, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d’Arras insiste sur un suicide hors du lieu de travail . Il ignore certainement qu’un prof a 50 % de son temps de travail à domicile, ironise Michel Paillard. Il propose aussi de former davantage les enseignants aux récentes réformes mais il ne remet nullement en cause la hiérarchie. »
À la Charité, on parle également de « déshumanisation ». « Avant, la salle des profs étaient animée, raconte une prof. Maintenant,
ce n’est plus qu’un lieu de passage où on récupère notre courrier.
L’administration ne participe plus activement à la vie du lycée, elle
reste confinée dans ses bureaux. » « Le proviseur ne m’a même pas appelée pour me prévenir quand mon poste a été supprimé », s’étrangle Carine. Et les enseignants de mettre en cause le « néo-management
libéral, le formatage de l’administration : notre proviseur actuel s’en
ira mais son remplaçant sera du même tonneau ».
1. Prénom d’emprunt.
2. Enquête MGEN effectuée en mai 2011 auprès de 5 000 agents de l’Éducation nationale : 24 % d’entre eux étaient en situation de tension au travail ; 14 % en situation de burn out.
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