13 octobre 2012

Le «burn out», grand absent des maladies professionnelles


Retrouvez l'article de Sophie Péters sur le site de La Tribune

Copyright Reuters

Copyright Reuters
Le syndrome d'épuisement professionnel, dit de «burn out» n'est toujours pas reconnu en France au titre des maladies professionnelles. Faute de statistiques mais aussi de méthodologie qui permettrait de déterminer la présence de facteurs dangereux pour la santé psychique des salariés. D'où l'urgence d'établir un langage commun autour du travail.

Au Japon le fameux et néanmoins tristement célèbre "karoshi", ou "mort par surmenage" de salariés se tuant littéralement à la tâche, est reconnu comme accident du travail depuis les années 70. En France, les cas de suicides au travail ont beau se multiplier et les salariés se «tuer» à la tâche pour surseoir aux exigences de productivité toujours plus intenses, le «burn out» n'est pas répertorié dans les maladies professionnelles. Bien que les CHSCT s'emparent désormais très régulièrement des risques psycho-sociaux et que les avocats tentent de faire reconnaître de plus en plus souvent la responsabilité de l'employeur. Et qu'enfin médecins du travail et syndicalistes s'inquiètent de ce phénomène qui vient bousculer les modèles d'observation, de règlementation, de négociation sociale et in fine de management.

Epuisement émotionnel

Pourquoi un tel vide juridique? Parce qu'il est extrêmement difficile de détecter ces facteurs dans une entreprise, de dénoncer un climat social délétère, de mobiliser un encadrement débordé et de cerner des objectifs contradictoires porteurs d'injonctions paradoxales. 
Or le syndrome d'épuisement professionnel est incontestablement lié au travail. Il guette les salariés soumis à d'intenses pressions et un stress permanent. "C'est un sur-engagement professionnel caractérisé par un épuisement émotionnel, une perte d'estime de soi et la déshumanisation de la relation à l'autre", expliquait le Dr Agnès Martineau-Arbes, lors d'un récent colloque sur ce syndrome. Pour ce médecin du travail, le terme anglais résume bien l'état d'une personne qui "se consume, physiquement et moralement jusqu'à épuisement total, jusqu'à avoir brûlé toutes ses réserves". Il atteint des personnes "extrêmement engagées dans leur travail et qui veulent bien faire", précise-t-elle.
"Exposé à un stress permanent, le salarié n'arrive pas à décrocher, augmente les cadences (...) Il en fait de plus en plus pour des résultats de moins en moins bons. Pour finir, le salarié acquiert la conviction qu'il est devenu incapable de faire son travail", résume ce médecin. Les signaux d'alarme, désormais bien identifiés par la médecine du travail, sont, pêle-mêle: troubles du sommeil, fatigue, perte de mémoire et de concentration, symptôme dépressif, problèmes de dos, d'ulcères, hypocondrie, irritabilité et une anxiété qui peut aller jusqu'à la panique. Il y a aussi souvent abus d'alcool, de cigarettes et de drogues. Mais le dépistage est toujours extrêmement complexe, et une fois diagnostiqué, "le traitement est long et difficile", prévient le Dr Martineau-Arbes. "Le retour au travail peut parfois prendre des années. On ne sort pas indemne d'un "burn-out", on en garde des traces et des séquelles", conclut le médecin du travail.


Pour une culture commune des risques

Pour l'initiateur du colloque, Jean-Claude Delgènes, directeur du cabinet de prévention des risques professionnels Technologia, il y a urgence à se saisir du sujet car "les exigences de la vie professionnelle sont de plus en plus fortes" et mettent les salariés "sous pression". Il cite le contexte professionnel actuel, qui se durcit avec un "chômage de masse qui dure, de nouvelles organisations du travail aggravées par l'exigence de rentabilité, des objectifs de moins en moins réalistes et une gouvernance non-respectueuse de l'humain". Mais aussi les nouvelles technologies de l'information qui "font le terreau" du "burn-out" parce que le "temps de la production ne s'arrête jamais". En l'espace d'un siècle, les risques de santé au travail ont complètement changé de nature. A tel point qu'il ne s'agit plus, pour l'entreprise, de protection technique comme par le passé. Avec le risque "psycho-social", on quitte le domaine de la maladie d'une profession, pour entrer dans celui, plus large, du dysfonctionnement collectif menant à des drames individuels. 
Si les syndicats sont tout mobilisés pour faire valoir la reconnaissance du "burn out" en tant que maladie professionnelle, il paraît cependant essentiel d'établir une culture commune des risques allant de la direction générale aux partenaires sociaux en passant par les CHSCT et les équipes de prévention. D'établir en clair une définition partagée de ces risques et du stress en entreprise, afin de se garder de toute perception partisane. Pour ce faire, les chercheurs recommandent de reconstruire la représentation du travail entre direction et salariés dans la droite ligne des travaux sur l'ergonomie. "Si on veut s'attaquer au problème, il faut déployer l'analyse du côté de ce que font les salariés concrètement dans leur travail", défend Philippe Davezies, chercheur en médecine et santé du travail. Il souligne qu'en réduisant les espaces de discussion sur le travail, avec un désengagement de la part des hiérarchies autour des modalités concrètes d'exécution des tâches, "on est allés vers une individualisation du rapport au travail, chacun étant renvoyé à soi-même en ce qui concerne les arbitrages à faire, mais aussi vers une individualisation des conflits. En général, le chef n'attaque pas frontalement le collectif mais vise la frange des gens posant problème vis-à-vis des critères d'évaluation". La nouveauté, ce n'est donc pas la souffrance au travail, selon Philippe Davezies, mais le fait qu'elle s'exprime aujourd'hui de façon extrêmement individualisée. D'où l'urgence de renouer avec des repères collectifs.

Aucun commentaire: