Retrouvez l'article de Sophie Péters sur le site de La Tribune
Le syndrome d'épuisement professionnel, dit de «burn out» n'est
toujours pas reconnu en France au titre des maladies professionnelles.
Faute de statistiques mais aussi de méthodologie qui permettrait de
déterminer la présence de facteurs dangereux pour la santé psychique des
salariés. D'où l'urgence d'établir un langage commun autour du travail.
Au Japon le fameux et néanmoins tristement célèbre "karoshi",
ou "mort par surmenage" de salariés se tuant littéralement à la tâche,
est reconnu comme accident du travail depuis les années 70. En France,
les cas de suicides au travail ont beau se multiplier et les salariés se
«tuer» à la tâche pour surseoir aux exigences de productivité toujours
plus intenses, le «burn out» n'est pas répertorié dans les maladies
professionnelles. Bien que les CHSCT s'emparent désormais très
régulièrement des risques psycho-sociaux et que les avocats tentent de
faire reconnaître de plus en plus souvent la responsabilité de
l'employeur. Et qu'enfin médecins du travail et syndicalistes
s'inquiètent de ce phénomène qui vient bousculer les modèles
d'observation, de règlementation, de négociation sociale et in fine de
management.
Epuisement émotionnel
Pourquoi un tel vide juridique? Parce qu'il est extrêmement difficile
de détecter ces facteurs dans une entreprise, de dénoncer un climat
social délétère, de mobiliser un encadrement débordé et de cerner des
objectifs contradictoires porteurs d'injonctions paradoxales.
Or le syndrome d'épuisement professionnel est incontestablement lié au
travail. Il guette les salariés soumis à d'intenses pressions et un
stress permanent. "C'est un sur-engagement professionnel caractérisé par
un épuisement émotionnel, une perte d'estime de soi et la
déshumanisation de la relation à l'autre", expliquait le Dr Agnès
Martineau-Arbes, lors d'un récent colloque sur ce syndrome. Pour ce
médecin du travail, le terme anglais résume bien l'état d'une personne
qui "se consume, physiquement et moralement jusqu'à épuisement total,
jusqu'à avoir brûlé toutes ses réserves". Il atteint des personnes
"extrêmement engagées dans leur travail et qui veulent bien faire",
précise-t-elle.
"Exposé à un stress permanent, le salarié n'arrive pas à décrocher,
augmente les cadences (...) Il en fait de plus en plus pour des
résultats de moins en moins bons. Pour finir, le salarié acquiert la
conviction qu'il est devenu incapable de faire son travail", résume ce
médecin. Les signaux d'alarme, désormais bien identifiés par la médecine
du travail, sont, pêle-mêle: troubles du sommeil, fatigue, perte de
mémoire et de concentration, symptôme dépressif, problèmes de dos,
d'ulcères, hypocondrie, irritabilité et une anxiété qui peut aller
jusqu'à la panique. Il y a aussi souvent abus d'alcool, de cigarettes et
de drogues. Mais le dépistage est toujours extrêmement complexe, et une
fois diagnostiqué, "le traitement est long et difficile", prévient le
Dr Martineau-Arbes. "Le retour au travail peut parfois prendre des
années. On ne sort pas indemne d'un "burn-out", on en garde des traces
et des séquelles", conclut le médecin du travail.
Pour une culture commune des risques
Pour l'initiateur du colloque, Jean-Claude Delgènes, directeur du
cabinet de prévention des risques professionnels Technologia, il y a
urgence à se saisir du sujet car "les exigences de la vie
professionnelle sont de plus en plus fortes" et mettent les salariés
"sous pression". Il cite le contexte professionnel actuel, qui se durcit
avec un "chômage de masse qui dure, de nouvelles organisations du
travail aggravées par l'exigence de rentabilité, des objectifs de moins
en moins réalistes et une gouvernance non-respectueuse de l'humain".
Mais aussi les nouvelles technologies de l'information qui "font le
terreau" du "burn-out" parce que le "temps de la production ne s'arrête
jamais". En l'espace d'un siècle, les risques de santé au travail ont
complètement changé de nature. A tel point qu'il ne s'agit plus, pour
l'entreprise, de protection technique comme par le passé. Avec le risque
"psycho-social", on quitte le domaine de la maladie d'une profession,
pour entrer dans celui, plus large, du dysfonctionnement collectif
menant à des drames individuels.
Si les syndicats sont tout mobilisés pour faire valoir la reconnaissance
du "burn out" en tant que maladie professionnelle, il paraît cependant
essentiel d'établir une culture commune des risques allant de la
direction générale aux partenaires sociaux en passant par les CHSCT et
les équipes de prévention. D'établir en clair une définition partagée de
ces risques et du stress en entreprise, afin de se garder de toute
perception partisane. Pour ce faire, les chercheurs recommandent de
reconstruire la représentation du travail entre direction et salariés
dans la droite ligne des travaux sur l'ergonomie. "Si on veut s'attaquer
au problème, il faut déployer l'analyse du côté de ce que font les
salariés concrètement dans leur travail", défend Philippe Davezies,
chercheur en médecine et santé du travail. Il souligne qu'en réduisant
les espaces de discussion sur le travail, avec un désengagement de la
part des hiérarchies autour des modalités concrètes d'exécution des
tâches, "on est allés vers une individualisation du rapport au travail,
chacun étant renvoyé à soi-même en ce qui concerne les arbitrages à
faire, mais aussi vers une individualisation des conflits. En général,
le chef n'attaque pas frontalement le collectif mais vise la frange des
gens posant problème vis-à-vis des critères d'évaluation". La nouveauté,
ce n'est donc pas la souffrance au travail, selon Philippe Davezies,
mais le fait qu'elle s'exprime aujourd'hui de façon extrêmement
individualisée. D'où l'urgence de renouer avec des repères collectifs.
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