06 février 2014

Souffrance au travail des enseignants

A lire dans La voix du Nord: l'article de Ruben Muller, Béthune : souffrance au travail, quand les profs témoignent...

« Il y a deux ans et demi, une élève m’a décoché un coup de pied pendant un cours. En conseil de discipline, elle a été exlue avec sursis. Elle a repris le chemin de l’école le lendemain. Moi, je ne suis jamais revenue. Je suis en dépression profonde et mon poste a été supprimé à la dernière rentrée. À la fin de mon arrêt, je devrai repartir de zéro, je serai peut-être mutée à l’autre bout de l’académie. » Plus que dans l’agression dont elle a été victime, Carine (1), professeur d’éducation physique et sportive, voit dans « l’attitude de la hiérarchie » la cause de sa situation.

Carine a été agressée par une élève à l’automne 2011.
À l’époque, Carine reçoit le soutien du ministre de l’Éducation nationale Luc Chatel face à « cet acte inqualifiable », le recteur Marie-Jeanne Philippe « condamne fermement cet acte de violence » mais « le proviseur ne m’a jamais entendue sur le déroulement des faits et il n’avait même pas prévenu mes collègues de mon agresssion ».

« Si la hiérarchie ne soutient pas ses profs, ils ne peuvent pas être crédibles aux yeux des élèves »
Quant au conseil de discipline, « il ne l’a pas pris au sérieux. Un prof qui devait y siéger était absent et n’a pas été remplacé, les deux délégués de classe ont été autorisés à partir avant d’être entendus parce qu’ils avaient un bus à prendre... Si la hiérarchie ne soutient pas ses profs, comment peuvent-ils être crédibles aux yeux des élèves ? Le bruit qui court, c’est que les élèves sont rois. Et leur langue court vite. »
Le cas de Carine n’est pas isolé. Fin janvier, le syndicat Action et démocratie (A&D), majoritaire dans l’enseignement professionnel, consacrait un séminaire à la souffrance au travail et au burn out des enseignants à la Charité à Béthune. Une cinquantaine de professeurs, dont une quinzaine de Béthune, assistent à cette journée de réflexion animée par Lucien Cornille, ancien responsable syndical régional.

« Une enseignant sur sept en situation d’épuisement professionnel »
« Un enseignant français sur sept est en situation de burn out, d’épuisement professionnel (2), détaille Michel Paillard, professeur au lycée professionnel André-Malraux de Béthune et secrétaire départemental d’A&D. Ils sont écartelés entre leur désir de bien faire et des conditions d’enseignement de plus en plus déplorables, notamment en lycée pro où la mise en place du bac pro en trois ans en 2009 n’a rien arrangé. »
Le syndicaliste pointe une évolution des causes du mal-être des enseignants, des élèves vers la hiérarchie. « Au début, on organisait surtout des formations sur la gestion des classes et des élèves difficiles. Depuis cinq ou six ans, on s’intéresse de plus en plus à l’attitude de l’institution vis-à-vis des enseignants. Les collègues se sentent dévalorisés. »

« Formatage de l’administration »
La question est particulièrement sensible à Malraux, dont une professeur de secrétariat, Marielle Croquefer, s’est suicidée en octobre 2012. Dans une lettre, elle expliquait son geste par des décisions administratives et la crainte de redevenir titulaire de zone de remplacement (TZR). « Dans ses conclusions, le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) d’Arras insiste sur un suicide hors du lieu de travail. Il ignore certainement qu’un prof a 50 % de son temps de travail à domicile, ironise Michel Paillard. Il propose aussi de former davantage les enseignants aux récentes réformes mais il ne remet nullement en cause la hiérarchie. »
À la Charité, on parle également de « déshumanisation ». « Avant, la salle des profs étaient animée, raconte une prof. Maintenant, ce n’est plus qu’un lieu de passage où on récupère notre courrier. L’administration ne participe plus activement à la vie du lycée, elle reste confinée dans ses bureaux. » « Le proviseur ne m’a même pas appelée pour me prévenir quand mon poste a été supprimé », s’étrangle Carine. Et les enseignants de mettre en cause le « néo-management libéral, le formatage de l’administration : notre proviseur actuel s’en ira mais son remplaçant sera du même tonneau ».
1. Prénom d’emprunt.
2. Enquête MGEN effectuée en mai 2011 auprès de 5 000 agents de l’Éducation nationale : 24 % d’entre eux étaient en situation de tension au travail ; 14 % en situation de burn out.

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