Et si l’école servait à apprendre...
Au moment où l’Etat demande aux enseignants de faire mieux avec moins de moyens, les débats s’intensifient autour de l’idée d’efficacité scolaire.
Par Sandrine Garcia
(Le monde diplomatique, octobre 2010 — Pages 20 et 21)
Depuis 2002, l’Education nationale fait l’objet d’une intense activité législative : suppression des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) ainsi que des réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased), remise en cause des méthodes de lecture, remplacement des cours du samedi matin par des « heures de soutien », assouplissement de la carte scolaire, etc.
Les taux d’échec à l’université, comme le rang obtenu dans les évaluations des compétences des élèves pour l’école primaire (1), ne manquent pas d’être bruyamment mis en avant pour justifier des réformes destinées à améliorer l’« efficacité » de l’école. L’extension des dispositifs visant à permettre l’accès des lycéens défavorisés aux grandes écoles et, avant cela, en 2007, le plan de réussite en licence impulsé par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pécresse, en constituent les exemples les plus médiatisés. Ces réformes se caractérisent par l’importance accordée à la prévention de l’échec dès l’école maternelle, où deux heures de soutien ont été instituées. A l’école primaire, on généralise les dispositifs dits d’« accompagnement scolaire », auxquels se sont ajoutés les programmes de réussite éducative (2).
Si elle ne recelait pas d’importantes contradictions, on ne pourrait qu’approuver cette préoccupation d’efficacité. On sait, en effet, que les pratiques pédagogiques à l’école maternelle ont des effets considérables sur les différences d’acquis et que, dès le cours préparatoire (CP), avant même tout apprentissage de la lecture, les inégalités sont déjà marquées. Le fait que certains élèves arrivent au collège avec de fortes lacunes dans ce domaine ainsi qu’en orthographe ne fait qu’obérer leur scolarité, notamment lorsque leurs parents n’ont pas les ressources suffisantes pour chercher ailleurs les moyens de remédier à ce type de difficultés. L’organisation du temps et des différentes activités scolaires reste alors primordiale pour réduire ces inégalités qui tendent à s’accroître par la suite (3).
Or, au fur et à mesure que les enjeux scolaires se précisent, les parents des « bons » élèves (ceux qui maîtrisent les acquis élémentaires de la lecture, de l’écriture et des mathématiques) se débrouillent pour que leurs enfants côtoient des élèves qui leur ressemblent. L’entrée au collège constitue en effet un moment au cours duquel les stratégies de placement et d’évitement deviennent plus offensives (lire « Belles moulures et bon lycée ») (4). Ce qui est à peu près maîtrisable à un niveau élémentaire ne l’est plus du tout ensuite : les élèves font alors l’apprentissage de nouveaux savoirs, mais découvrent aussi des approches pédagogiques différentes. Toutes les conditions sont donc réunies pour que les situations d’insuffisance scolaire s’aggravent. D’où les enjeux démocratiques d’une école centrée sur l’efficacité des pratiques pédagogiques.
Le temps consacré à
Même si une bonne scolarité primaire ne garantit pas la réussite ultérieure, on ne peut occulter le fait qu’il s’agit d’une étape essentielle (5). Le débat sur les méthodes (6), sur le temps consacré par les enseignants aux différentes activités, sur le type d’approche pédagogique, apparaît parfaitement légitime ; mais l’« efficacité », telle qu’elle est envisagée par les textes gouvernementaux, reste le plus souvent un concept trompeur.
Ainsi, l’école maternelle, critiquée au nom de la nécessité d’évaluer ses apports scolaires, n’en a pas moins perdu deux heures pour tous les enfants avec la suppression du samedi matin, sans véritable justification pédagogique. L’enseignement est passé de 936 à 864 heures annuelles. Ces suppressions ont certes été accompagnées de l’instauration d’heures de soutien pour certains ; mais quel en est le sens alors même que le temps d’exposition à l’apprentissage reste déterminant dans la réussite scolaire (7) ?
La même logique s’observe dans les réformes successives du lycée et notamment les plus récentes : la suppression des heures d’enseignement pour tous et la généralisation du soutien scolaire et hors scolaire pour des élèves ciblés.
Ce double mouvement révèle une tendance lourde. Un véritable quadrillage du temps non scolaire de l’enfant et de l’adolescent se met en place au travers de dispositifs dont le caractère pédagogique apparaît pour le moins incertain. Entre 1990 et 2007, six circulaires y ont été consacrées, auxquelles s’ajoutent les mesures instaurées par la loi du 18 janvier 2006 sur la cohésion sociale. Officiellement, c’est bien la réussite scolaire que visent ces dispositifs d’« accompagnement à la scolarité », définis comme « l’ensemble des actions visant à offrir aux côtés de l’école l’appui et les ressources dont les enfants ont besoin pour leur réussite scolaire, appui qu’ils ne trouvent pas dans leur environnement familial et social (8) ». Comme pour l’assouplissement de la carte scolaire, le gouvernement ne fait que poursuivre et renforcer une politique impulsée depuis les années 1980, dont le cadrage théorique s’appuie davantage sur des poncifs (« envie d’apprendre », « plaisir de découvrir », etc.) que sur une réflexion pédagogique évaluant l’efficacité des apprentissages.
Les dispositifs d’accompagnement scolaire ont pourtant fait l’objet d’évaluations ne permettant pas de les créditer d’effets justifiant l’importance croissante que les politiques publiques leur confèrent. Comme l’observe le sociologue Dominique Glasman, « il ne semble pas que l’on puisse attendre de l’accompagnement scolaire davantage que ce qu’a produit en son temps la pédagogie de compensation aux Etats-Unis, c’est-à-dire peu de chose et pas de réduction des écarts de réussite ». Il considère même que ces dispositifs peuvent, « par des processus non voulus, aboutir à aggraver une stigmatisation, parfois à organiser une ségrégation entre élèves, surtout s’ils sont peu efficaces en termes d’appui au travail » (9).
Derrière ces contradictions entre la préoccupation affichée — l’amélioration de l’efficacité — et l’extension de mesures dont l’apport reste discutable, se profilent des logiques sociales. Ces dispositifs proposent de fournir, à travers l’accompagnement scolaire, l’équivalent des apports du milieu familial dont jouissent les enfants qui réussissent le mieux. Implicitement, ils nient l’idée que la classe puisse être le lieu où les enfants se dotent des clefs de la « réussite » — une logique qui implique, elle, de donner la priorité aux apprentissages. Au contraire, la charte de l’accompagnement scolaire se fonde sur les pratiques familiales : reproduire et imiter ce qui constituerait l’avantage éducatif des catégories sociales favorisées.
On déplace sur les familles
Ce faisant, on alloue à des acteurs formés sur des bases très aléatoires les missions d’égalisation et de démocratisation qui ont longtemps été celles de l’école. De plus, on déplace sur les familles la responsabilité de l’échec scolaire. Cette externalisation s’avère peut-être économique, puisqu’elle minimise le coût de l’accompagnement pour l’Etat. Elle n’en est pas pour autant rationnelle : c’est encore à l’école que les enfants passent le plus clair de leur temps et c’est l’utilisation scolaire de ce temps qui leur est la plus utile. On pourrait tout aussi bien se dire que les parents sont en droit d’attendre de l’école qu’elle soit efficace pour tous les élèves, et qu’elle fasse ce qu’ils n’ont pas toujours les moyens (ni le temps) de faire.
Les enquêtes sur les pratiques parentales montrent que les classes moyennes et supérieures n’hésitent pas à agir aussi de manière véritablement « offensive » sur la scolarité de leurs enfants : se charger eux-mêmes des apprentissages dans certains cas, y compris dans leurs dimensions techniques, lorsque des difficultés se font sentir. Non seulement ces familles possèdent des livres que leurs enfants côtoient… mais ils achètent des manuels scolaires et vont jusqu’à anticiper certains apprentissages. Rechercher l’implication des familles (10), comme c’est souvent le cas dans les dispositifs périscolaires, revient à minorer cette dimension technique, plutôt que d’en faire une composante essentielle de l’aide périscolaire, conformément aux attentes des classes populaires.
Le principe d’« éducation des parents », notamment de milieux « culturellement défaillants », prévaut par exemple dans un dispositif expérimenté dans trente-sept collèges. L’équipe de l’Ecole d’économie de Paris, dirigée par M. Eric Maurin, qui l’a évalué, conclut à l’efficacité d’une démarche visant à impliquer les parents et à leur faire comprendre le rôle positif qu’ils peuvent jouer dans la scolarité de leurs enfants. Mais là encore, sur quoi repose une telle évaluation ? Pour l’essentiel, sur le fait que l’expérience fait apparaître une amélioration des relations entre les familles et le collège, que l’on est parvenu à « impliquer » les parents, ce qui induit un progrès dans le comportement des collégiens. Mais, à part ces bonnes performances dans le domaine de la vie scolaire, l’impact sur les apprentissages est jugé « ténu » (11).
On ne peut que se réjouir de la pacification constatée dans le comportement des collégiens, mais la fin principale du système scolaire est-elle vraiment d’éduquer les parents et de discipliner des collégiens « difficiles », pendant que d’autres apprennent ?
Sous couvert de reconnaissance des parents et de leur rôle éducatif se profile une double logique d’externalisation des missions de l’école et de renvoi vers les familles — et donc vers les inégalités d’héritage culturel — des causes de l’échec scolaire. Ce renoncement à faire de l’école l’acteur essentiel de la réussite est une mutation d’importance, alors que dans le même temps les Rased sont supprimés. La promotion des dispositifs d’accompagnement scolaire participe d’une sorte de compromis avec les enseignants, qui vise à sous-traiter la difficulté scolaire à des acteurs extérieurs à la classe. Ce compromis évite les tensions avec les enseignants, mais est-il vraiment de nature pédagogique ?
Mal posée par les politiques gouvernementales, la question de l’efficacité n’en demeure pas moins centrale. Et il n’est pas certain que le « rapport » à l’enfant, que les dispositifs d’accompagnement de la scolarité substituent aux apprentissages, suffise à compenser les inégalités d’héritage culturel. C’est en revanche sur ce terrain-là que l’école publique doit être résolument défendue. Si en effet le « pédocentrisme (12) » valorisé dans certains dispositifs scolaires — attention accordée à l’enfant, à son épanouissement, à son plaisir, à son activité, etc., indépendamment de l’efficacité des apprentissages — ne requiert pas de compétences spécifiques, il en va tout autrement de la transmission égalitaire des savoirs.
Les taux d’échec à l’université, comme le rang obtenu dans les évaluations des compétences des élèves pour l’école primaire (1), ne manquent pas d’être bruyamment mis en avant pour justifier des réformes destinées à améliorer l’« efficacité » de l’école. L’extension des dispositifs visant à permettre l’accès des lycéens défavorisés aux grandes écoles et, avant cela, en 2007, le plan de réussite en licence impulsé par la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Valérie Pécresse, en constituent les exemples les plus médiatisés. Ces réformes se caractérisent par l’importance accordée à la prévention de l’échec dès l’école maternelle, où deux heures de soutien ont été instituées. A l’école primaire, on généralise les dispositifs dits d’« accompagnement scolaire », auxquels se sont ajoutés les programmes de réussite éducative (2).
Si elle ne recelait pas d’importantes contradictions, on ne pourrait qu’approuver cette préoccupation d’efficacité. On sait, en effet, que les pratiques pédagogiques à l’école maternelle ont des effets considérables sur les différences d’acquis et que, dès le cours préparatoire (CP), avant même tout apprentissage de la lecture, les inégalités sont déjà marquées. Le fait que certains élèves arrivent au collège avec de fortes lacunes dans ce domaine ainsi qu’en orthographe ne fait qu’obérer leur scolarité, notamment lorsque leurs parents n’ont pas les ressources suffisantes pour chercher ailleurs les moyens de remédier à ce type de difficultés. L’organisation du temps et des différentes activités scolaires reste alors primordiale pour réduire ces inégalités qui tendent à s’accroître par la suite (3).
Or, au fur et à mesure que les enjeux scolaires se précisent, les parents des « bons » élèves (ceux qui maîtrisent les acquis élémentaires de la lecture, de l’écriture et des mathématiques) se débrouillent pour que leurs enfants côtoient des élèves qui leur ressemblent. L’entrée au collège constitue en effet un moment au cours duquel les stratégies de placement et d’évitement deviennent plus offensives (lire « Belles moulures et bon lycée ») (4). Ce qui est à peu près maîtrisable à un niveau élémentaire ne l’est plus du tout ensuite : les élèves font alors l’apprentissage de nouveaux savoirs, mais découvrent aussi des approches pédagogiques différentes. Toutes les conditions sont donc réunies pour que les situations d’insuffisance scolaire s’aggravent. D’où les enjeux démocratiques d’une école centrée sur l’efficacité des pratiques pédagogiques.
Le temps consacré à
l’apprentissage reste décisif
pour la réussite scolaire
Même si une bonne scolarité primaire ne garantit pas la réussite ultérieure, on ne peut occulter le fait qu’il s’agit d’une étape essentielle (5). Le débat sur les méthodes (6), sur le temps consacré par les enseignants aux différentes activités, sur le type d’approche pédagogique, apparaît parfaitement légitime ; mais l’« efficacité », telle qu’elle est envisagée par les textes gouvernementaux, reste le plus souvent un concept trompeur.Ainsi, l’école maternelle, critiquée au nom de la nécessité d’évaluer ses apports scolaires, n’en a pas moins perdu deux heures pour tous les enfants avec la suppression du samedi matin, sans véritable justification pédagogique. L’enseignement est passé de 936 à 864 heures annuelles. Ces suppressions ont certes été accompagnées de l’instauration d’heures de soutien pour certains ; mais quel en est le sens alors même que le temps d’exposition à l’apprentissage reste déterminant dans la réussite scolaire (7) ?
La même logique s’observe dans les réformes successives du lycée et notamment les plus récentes : la suppression des heures d’enseignement pour tous et la généralisation du soutien scolaire et hors scolaire pour des élèves ciblés.
Ce double mouvement révèle une tendance lourde. Un véritable quadrillage du temps non scolaire de l’enfant et de l’adolescent se met en place au travers de dispositifs dont le caractère pédagogique apparaît pour le moins incertain. Entre 1990 et 2007, six circulaires y ont été consacrées, auxquelles s’ajoutent les mesures instaurées par la loi du 18 janvier 2006 sur la cohésion sociale. Officiellement, c’est bien la réussite scolaire que visent ces dispositifs d’« accompagnement à la scolarité », définis comme « l’ensemble des actions visant à offrir aux côtés de l’école l’appui et les ressources dont les enfants ont besoin pour leur réussite scolaire, appui qu’ils ne trouvent pas dans leur environnement familial et social (8) ». Comme pour l’assouplissement de la carte scolaire, le gouvernement ne fait que poursuivre et renforcer une politique impulsée depuis les années 1980, dont le cadrage théorique s’appuie davantage sur des poncifs (« envie d’apprendre », « plaisir de découvrir », etc.) que sur une réflexion pédagogique évaluant l’efficacité des apprentissages.
Les dispositifs d’accompagnement scolaire ont pourtant fait l’objet d’évaluations ne permettant pas de les créditer d’effets justifiant l’importance croissante que les politiques publiques leur confèrent. Comme l’observe le sociologue Dominique Glasman, « il ne semble pas que l’on puisse attendre de l’accompagnement scolaire davantage que ce qu’a produit en son temps la pédagogie de compensation aux Etats-Unis, c’est-à-dire peu de chose et pas de réduction des écarts de réussite ». Il considère même que ces dispositifs peuvent, « par des processus non voulus, aboutir à aggraver une stigmatisation, parfois à organiser une ségrégation entre élèves, surtout s’ils sont peu efficaces en termes d’appui au travail » (9).
Derrière ces contradictions entre la préoccupation affichée — l’amélioration de l’efficacité — et l’extension de mesures dont l’apport reste discutable, se profilent des logiques sociales. Ces dispositifs proposent de fournir, à travers l’accompagnement scolaire, l’équivalent des apports du milieu familial dont jouissent les enfants qui réussissent le mieux. Implicitement, ils nient l’idée que la classe puisse être le lieu où les enfants se dotent des clefs de la « réussite » — une logique qui implique, elle, de donner la priorité aux apprentissages. Au contraire, la charte de l’accompagnement scolaire se fonde sur les pratiques familiales : reproduire et imiter ce qui constituerait l’avantage éducatif des catégories sociales favorisées.
On déplace sur les familles
la responsabilité des échecs
Ce faisant, on alloue à des acteurs formés sur des bases très aléatoires les missions d’égalisation et de démocratisation qui ont longtemps été celles de l’école. De plus, on déplace sur les familles la responsabilité de l’échec scolaire. Cette externalisation s’avère peut-être économique, puisqu’elle minimise le coût de l’accompagnement pour l’Etat. Elle n’en est pas pour autant rationnelle : c’est encore à l’école que les enfants passent le plus clair de leur temps et c’est l’utilisation scolaire de ce temps qui leur est la plus utile. On pourrait tout aussi bien se dire que les parents sont en droit d’attendre de l’école qu’elle soit efficace pour tous les élèves, et qu’elle fasse ce qu’ils n’ont pas toujours les moyens (ni le temps) de faire.Les enquêtes sur les pratiques parentales montrent que les classes moyennes et supérieures n’hésitent pas à agir aussi de manière véritablement « offensive » sur la scolarité de leurs enfants : se charger eux-mêmes des apprentissages dans certains cas, y compris dans leurs dimensions techniques, lorsque des difficultés se font sentir. Non seulement ces familles possèdent des livres que leurs enfants côtoient… mais ils achètent des manuels scolaires et vont jusqu’à anticiper certains apprentissages. Rechercher l’implication des familles (10), comme c’est souvent le cas dans les dispositifs périscolaires, revient à minorer cette dimension technique, plutôt que d’en faire une composante essentielle de l’aide périscolaire, conformément aux attentes des classes populaires.
Le principe d’« éducation des parents », notamment de milieux « culturellement défaillants », prévaut par exemple dans un dispositif expérimenté dans trente-sept collèges. L’équipe de l’Ecole d’économie de Paris, dirigée par M. Eric Maurin, qui l’a évalué, conclut à l’efficacité d’une démarche visant à impliquer les parents et à leur faire comprendre le rôle positif qu’ils peuvent jouer dans la scolarité de leurs enfants. Mais là encore, sur quoi repose une telle évaluation ? Pour l’essentiel, sur le fait que l’expérience fait apparaître une amélioration des relations entre les familles et le collège, que l’on est parvenu à « impliquer » les parents, ce qui induit un progrès dans le comportement des collégiens. Mais, à part ces bonnes performances dans le domaine de la vie scolaire, l’impact sur les apprentissages est jugé « ténu » (11).
On ne peut que se réjouir de la pacification constatée dans le comportement des collégiens, mais la fin principale du système scolaire est-elle vraiment d’éduquer les parents et de discipliner des collégiens « difficiles », pendant que d’autres apprennent ?
Sous couvert de reconnaissance des parents et de leur rôle éducatif se profile une double logique d’externalisation des missions de l’école et de renvoi vers les familles — et donc vers les inégalités d’héritage culturel — des causes de l’échec scolaire. Ce renoncement à faire de l’école l’acteur essentiel de la réussite est une mutation d’importance, alors que dans le même temps les Rased sont supprimés. La promotion des dispositifs d’accompagnement scolaire participe d’une sorte de compromis avec les enseignants, qui vise à sous-traiter la difficulté scolaire à des acteurs extérieurs à la classe. Ce compromis évite les tensions avec les enseignants, mais est-il vraiment de nature pédagogique ?
Mal posée par les politiques gouvernementales, la question de l’efficacité n’en demeure pas moins centrale. Et il n’est pas certain que le « rapport » à l’enfant, que les dispositifs d’accompagnement de la scolarité substituent aux apprentissages, suffise à compenser les inégalités d’héritage culturel. C’est en revanche sur ce terrain-là que l’école publique doit être résolument défendue. Si en effet le « pédocentrisme (12) » valorisé dans certains dispositifs scolaires — attention accordée à l’enfant, à son épanouissement, à son plaisir, à son activité, etc., indépendamment de l’efficacité des apprentissages — ne requiert pas de compétences spécifiques, il en va tout autrement de la transmission égalitaire des savoirs.
(1) Cf. la note d’information de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) du ministère de l’éducation nationale « Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle, 1987-2007 », n° 08.38, décembre 2008.
(2) Les dispositifs de réussite éducative sont inscrits dans les programmes 15 et 16 du plan de cohésion sociale, rendu public le 30 juin 2004.
(3) Cf. Bruno Suchaut, « La gestion du temps à l’école maternelle et primaire : diversité des pratiques et effets sur les acquisitions des élèves », L’Année de la recherche en sciences de l’éducation, 1996, p. 123-153.
(4) Cf. Franck Poupeau et Jean-Christophe François, Le Sens du placement, Raisons d’agir, Paris, 2009 ; Actes de la recherche en sciences sociales, n° 180, « Ecole ségrégative, école reproductive », Paris, décembre 2009.
(5) Lire Tristan Poullaouec, Le Diplôme, arme des faibles, La Dispute, Paris, 2009.
(6) Cf. Jean-Pierre Terrail, « La syllabique est-elle réactionnaire ? », Revue du Mauss, n° 28, Paris, 2006.
(7) Cf. Denis Meuret, « L’efficacité de la politique des zones d’éducation prioritaire », Revue française de pédagogie, n° 109, Lyon, 1994, p. 41-64.
(8) Charte nationale de l’accompagnement à la scolarité, mai 2001.
(9) Dominique Glasman, « Le travail des élèves pour l’école en dehors de l’école », Haut Conseil à l’évaluation de l’école, Paris, 2005.
(10) On peut parler à ce sujet de « pédocentrisme » ou de « puérocentrisme ». Cf. Daniel Thin, Quartiers populaires. L’école et les familles, Presses universitaires de Lyon (PUL), 1998.
(11) Cité par Le Monde, 12 janvier 2010.
(12) Dominique Glasman, Pierre Blanc, Yves Bruchon, Georges Collonges et Paul Guyot, « Le soutien hors école », Revue française de pédagogie, n° 95, 1991.
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